
Morgan Le Moullac
Interview
1) Parlez-nous un peu de vous et de ce qui vous a poussé à écrire.
Lire, d’abord, a été ma première expérience d’écriture. J’ai commencé par piquer les romans policiers que ma mère engloutissait, des whodunit à la Agatha Christie. Très vite, j’ai découvert une collection destinée aux enfants et compilant de nombreux textes courts du genre noir ou policier. Je les ai lus et relus. Dans ma tête j’écrivais d’autres histoires ou je les complétais, je les déformais, je rajoutais des personnages, etc. Ensuite, au collège, quelques professeurs de français m’ont fait remarquer que certaines copies rendues n’étaient pas mauvaises. Mais je lisais toujours et j’écrivais dans ma tête, pas encore sur le papier. Je n’ai commencé à écrire que sous l’influence d’un groupe d’amis de la fac. Ils ont été le déclencheur. J’avais des années d’histoires, d’objets, de personnages, de situations, de répliques en tête, plus ou moins enfouies qui ne demandaient qu’à être couchées sur le papier. Depuis, je n’ai jamais cessé d’avoir plusieurs projets sur le feu.
2) Votre premier roman, les Atomes Disséminés, prend place dans un futur dystopique. Qu’est-ce qui vous a inspiré ce futur où l’art y est proscrit et où la richesse se compte en point d’amitié ?
L’art n’y est pas tout à fait proscrit, il y est oublié. Plus précisément, les gens ont oublié ce que c’était que créer. Ensuite, il a été rangé dans un coin de l’Histoire dont on ne s’occupe plus. L’art n’a plus qu’une fonction thérapeutique, essentiellement. "Pour se détendre". L’art comme moyen d’expression n’a plus lieu d’être puisque dans cette société, on s’exprime comme on respire : sans y réfléchir et pour rester en vie.
Avec la crise actuelle, on voit bien que l’art et la culture en général sont loin de faire partie des priorités du gouvernement. Les artistes continuent de créer, en tout cas, ils essaient, mais ils ne sont plus diffusés. Et si la situation durait une ou deux décennies, la créativité ne s’éteindrait-elle pas peu à peu ?
Quand j’ai commencé à écrire les Atomes Disséminés, il y a une dizaine d’années de cela, mon idée conductrice était de parler d’une utopie réalisée. De placer des personnages malheureux dans un monde où le bonheur est censé être universel. L’utopie est ici une sorte de tampon apposé par le gouvernement. Si vous n’êtes pas heureux en utopie, ça ne peut qu’être de votre faute, non ?
3) Boris, Edgar, Élisabeth, que représentent ces personnages pour vous, aujourd’hui ? Vous les avez fait naître, vous les avez vu grandir, qu’est-ce qui fait d’eux des personnages uniques ?
Au sujet de Boris, c’est le seul personnage que j’aie créé qui s’inspire d’une personne réelle. Je travaillais comme guide/mousse dans un bateau-musée en Australie et un soir, j’étais en train de préparer mon couchage quand un grand type avec un fort accent se ramène pour rejoindre l’équipe. Sur le moment, j’ai mal compris son nom, j’ai cru qu’il s’appelait Boris alors qu’en fait, il se nomme Maurizio. C’est devenu un bon ami. Comme Boris, il a un sourire éclatant et une belle carrure…
Edgar, Elizabeth, Milos, Victor et les autres, ce sont tous des petites parties de moi. Ils ont évolué dans leur caractère au fur et à mesure des réécritures. Ce sont des personnages archétypaux : Boris, c’est le gentil loubard, Edgar le type paumé, Elizabeth la journaliste tenace, la P.U. l’intelligence artificielle insoumise, etc. Leur singularité vient de leur voix. Ils sont tous narrateurs et racontent tous l’histoire à leur façon.
4) Vous citez maintes fois Edgar Allan Poe dans votre récit, pourquoi cet auteur ?
Parce qu’un nombre conséquent de ses œuvres parlent de vie après la mort. Il a tout essayé : un dialogue entre deux morts, des histoires de femmes enterrées vivantes, des tentatives de communication entre un vivant et un mort via diverses pratiques plus ou moins passées de mode… Or la trame centrale des Atomes Disséminés concerne cette force cosmique qui tente de retrouver son influence d’antan sur les hommes après un long exil. Cette force, en cherchant un canal pour communiquer de nouveau, a jeté son dévolu sur les œuvres de Poe parce qu’elle se sentait proche de ses thématiques. Comme certains de ses personnages, elle cherche à revenir à la vie.
Les œuvres de Poe m’accompagnent depuis tout petit. J’ai commencé avec le Scarabée d’Or, dans la collection jeunesse dont j’ai déjà parlé, et je n’ai depuis jamais cessé de le lire et de le relire, et de découvrir de nouvelles façons de l’apprécier à chaque étape de ma vie.
5) Des années d’écriture, de correction, de relecture et de réécriture. Résumez-nous cette aventure et ce long périple qui vous a amené aujourd’hui à publier ce premier roman.
Au départ, je n’ai écrit que pour me vider la tête de toutes ces idées qui y traînaient depuis trop longtemps. Elles sentaient un peu le renfermer. Les Atomes Disséminés constituent ma deuxième tentative de roman. Contrairement à la première fois, j’ai beaucoup travaillé en amont. Constitué des fiches d’identité, des frises chronologiques, des fiches de style, un chemin de fer détaillé, etc. J’avais déjà des dizaines de pages sur lesquelles me baser pour dérouler mon histoire.
On pourrait croire qu’avec une telle base de travail, tout glisserait comme sur des roulettes, mais non : en dix ans, j’ai dû consacrer deux ans à l’écriture, et tout le reste à la correction, la réécriture et surtout, aux coupes. C’est déjà un gentil pavé, mais il faut se dire qu’au départ, il faisait bien le triple de son poids.
À un moment donné, j’ai commencé à envoyer le manuscrit à diverses maisons d’édition, sans aucun retour. Je n’y croyais pas vraiment non plus, je voyais bien que ce livre n’était pas fini. J’ai avancé d’autres projets en parallèle et puis de temps en temps, à la suite d’une nouvelle version, j’envoyais une nouvelle salve. Sans succès.
Jusqu’au jour où je suis tombé sur un forum de relecteurs. Je m’y suis inscrit, j’ai étudié les auteurs, j’ai relu quantité de textes, j’ai proposé les miens. Bref, j’ai appris énormément de choses sur l’édition en très peu de temps. Et ça m’a aussi permis d’avoir un peu de recul sur ma propre production.
Dès lors, j’ai décidé de faire un véritable envoi de manuscrit, pas au hasard, mais ciblé et raisonné. J’ai constitué un dossier avec résumés, synopsis, notes d’intention, etc. Plutôt que d’envoyer aux premières maisons qui passaient sous mes yeux, j’en ai choisi deux qui me semblaient correspondre à mes attentes.
C’est alors que j’ai fait la connaissance des toutes jeunes éditions Onyx et de leurs éditrices Aline et Anaïs. Elles m’ont immédiatement fait part de leur enthousiasme et c’était évidemment réciproque. Les critiques du comité de lecture ont été particulièrement instructives.
Ses membres ne prenaient pas de gants, ils disaient les choses crûment et avec pertinence. C’est grâce à ce comité et au suivi d’Aline et Anaïs que j’ai pu effectuer les corrections les plus significatives sur ce livre.
C’est une chance extraordinaire d’avoir pu bosser avec elles. Je connais davantage mes défauts, sais bien mieux éviter les pièges. Et puis c’est un vrai bonheur de travailler main dans la main avec ces deux passionnées qui ont vraiment tout fait pour rendre mon livre meilleur.
6) Ceux qui liront votre roman le sauront, l’univers dans lequel se déroule les Atomes Disséminés est plus vaste qu’il n’y paraît, avez-vous d’autres projets littéraires qui s’y dérouleront ?
Oui, à vrai dire, tout ce que j’écris appartient à un seul univers que j’ai commencé à construire il y a longtemps de ça. Mais les livres se lisent indépendamment. Je compte prochainement terminer un roman qui se déroule longtemps avant les Atomes, mais dans un futur proche par rapport à notre temps. Le livre se passe le temps d’une nuit, dans une colonie lunaire, et il explique un événement auquel il est fait brièvement référence dans les Atomes. J’avance en parallèle sur un roman très sombre, d’inspiration clairement gothique et qui se déroule, lui, un peu avant les Atomes, mais avec d’autres personnages.
Et puis j’ai un projet qui n’est pour l’instant qu’un chemin de fer, un début, un milieu et une fin, mais sur lequel j’ai hâte de travailler pleinement. Un roman policier à la Marlowe dans un futur complètement débridé, un livre beaucoup plus léger dans l’ensemble.